

Songe à la douceur
D'aller là-bas vivre ensemble !
Aimer à loisir, Aimer et mourir
Au pays qui te ressemble !
Les soleils mouillés, De ces ciels brouillés
Pour mon esprit ont les charmes Si mystérieux
De tes traîtres yeux,Brillant à travers leurs larmes.
Les plus rares fleurs Mêlant leurs odeurs
Aux vagues senteurs de l'ambre,
La splendeur orientale
Sa douce langue natale.
À l'âme en secret dont l'humeur est vagabonde ;
C'est pour assouvir Ton moindre désir,
Qu'ils viennent du bout du monde.
Les soleils couchants D'hyacinthe et d'or ;
Le monde s'endort dans une chaude lumière.
Là, tout n'est qu'ordre et beauté,
Luxe, calme et volupté.
VOYAGE de Charles Baudelaire
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La lune blanche
Luit dans les bois;
De chaque branche
Part une voix
Sous la ramée...
Ô bien-aimée.
L'étang reflète,
Profond miroir,
La silhouette
Du saule noir
Où le vent pleure...
Rêvons, c'est l'heure.
Un vaste et tendre
Apaisement
Semble descendre
Du firmament
Que l'astre irise...
C'est l'heure exquise.
LA LUNE BLANCHE de Paul Verlaine
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Il n'avait peur de personne Il n'avait peur de rien Mais un matin un beau matin Il croit voir quelque chose Mais il dit Ce n'est rien Et il avait raison Avec sa raison sans nul doute Ce n' était rien Mais le matin ce même matin Il croit entendre quelqu'un Et il ouvrit la porte Et il la referma en disant personne Et il avait raison Avec sa raison sans nul doute Il n'y avait personne
Mais soudain il eut peur Et il comprit qu'il était seul Mais qu'il n'était pas tout seul Et c'est alors qu'il vit rien en personne devant lui.
UN BEAU MATIN
de Jacques Prévert
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Demain, dès l’aube, à l’heure où blanchit la campagne,.
Je partirai. Vois-tu, je sais que tu m’attends..
J’irai par la forêt, j’irai par la montagne..
Je ne puis demeurer loin de toi plus longtemps..
Je marcherai les yeux fixés sur mes pensées,.
Sans rien voir au dehors, sans entendre aucun bruit,.
Seul, inconnu, le dos courbé, les mains croisées,.
Triste, et le jour pour moi sera comme la nuit...
Je ne regarderai ni l’or du soir qui tombe,.
Ni les voiles au loin descendant vers Harfleur,.
Et quand j’arriverai, je mettrai sur ta tombe.
Un bouquet de houx vert et de bruyère en fleur...
DEMAIN DES L'AUBE
de Victor Hugo
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Ainsi, toujours poussés vers de nouveaux rivages,
Dans la nuit éternelle emportés sans retour,
Ô lac ! l'année à peine a fini sa carrière,
Et près des flots chéris qu'elle devait revoir,
Regarde ! je viens seul m'asseoir sur cette pierre
Où tu la vis s'asseoir !
Tu mugissais ainsi sous ces roches profondes,
Ainsi tu te brisais sur leurs flancs déchirés,
Ainsi le vent jetait l'écume de tes ondes
Sur ses pieds adorés.
Un soir, t'en souvient-il ? nous voguions en silence ;
On n'entendait au loin, sur l'onde et sous les cieux,
Que le bruit des rameurs qui frappaient en cadence
Tes flots harmonieux.
Tout à coup des accents inconnus à la terre
Du rivage charmé frappèrent les échos ;
Le flot fut attentif, et la voix qui m'est chère
Laissa tomber ces mots :
"Ô temps ! suspends ton vol, et vous, heures propices !
Laissez-nous savourer les rapides délices
Des plus beaux de nos jours !
Assez de malheureux ici-bas vous implorent,
Oubliez les heureux.
Mais je demande en vain quelques moments encore,
Le temps m'échappe et fuit
Je dis à cette nuit : Sois plus lente ; et l'aurore
Va dissiper la nuit.
" Aimons donc, aimons donc ! de l'heure fugitive,
le temps n'a point de rive
se peut-il que ces moments d'ivresse,
Où l'amour à longs flots nous verse le bonheur,
S'envolent loin de nous de la même vitesse
Que les jours de malheur ?
Éternité, néant, passé, sombres abîmes,
Que faites-vous des jours que vous engloutissez ?
Parlez : nous rendrez-vous ces extases sublimes
Que vous nous ravissez ?
Ô lac ! rochers muets ! grottes ! forêt obscure !
Vous, que le temps épargne ou qu'il peut rajeunir,
Gardez de cette nuit, gardez, belle nature,
Au moins le souvenir !
Qu'il soit dans ton repos, qu'il soit dans tes orages,
Beau lac, et dans l'aspect de tes riants coteaux,
Et dans ces noirs sapins, et dans ces rocs sauvages
Qui pendent sur tes eaux.
Qu'il soit dans le zéphyr qui frémit et qui passe,
Dans l'astre au front d'argent qui blanchit ta surface
Que les parfums légers de ton air embaumé,
Que tout ce qu'on entend, l'on voit ou l'on respire,
Tout dise : Ils ont aimé !
LE LAC
de Alphonse de Lamartine
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Ce qui tombait du bout de votre lèvre rose,
Ce que vous chantiez, Ô mon doux bengali,
Vous l’avez oublié, c’était si peu de chose,
Et pourtant, c’était bien joli…
Mais moi je me souviens et n’en soyez pas surprise,
Je me souviens pour vous de ce que vous disiez.
Que vous aimiez fort la cerise,
La cerise et les cerisier
Plus grands sont les amours, plus courte est la mémoire
Vous l’avez oublié, nous en sommes tous là ;
Le cœur le plus aimant n’est qu’une vaste armoire.
On fait deux tours, et puis voilà.
Mais moi je me souviens et n’en soyez surprise,
Je me souviens pour vous de ce que vous faisiez…
Des boucles d’oreille en cerise,
En cerise de cerisiers.
Seule dans ton repos ! Seule, Ô femme, Ô nature !
De l’ombre, du silence, et toi… quel souvenir !
Vous l’avez oublié, maudite créature,
Moi je ne puis y parvenir.
LES CERISIER
de Alphonse Daudet
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Au pays où se fait la guerre
Mon bel ami s'en est allé
Il sembleà mon cœur désolé é
Qu'il ne reste que moi sur terre !
En partant, au baiser d'adieu,
Il m'a pris mon âme à ma bouche.
Qui le tient si longtemps, mon Dieu ?
Voilà le soleil qui se couche,
Et moi, toute seule en ma tour,
J'attends encore son retour.
Les pigeons sur le toit roucoulent,
Roucoulent amoureusement
Avec un son triste et charmant
Les eaux sous les grands saules coulent.
Je me sens tout près de pleurer,
Mon cœur comme un lis plein s'épanche,
Et je n'ose plus espérer.
Voici briller la lune blanche,
Et moi, toute seule en ma tour,
J'attends encore son retour.
Quelqu'un monte à grands pas la rampe :
Serait-ce lui, mon doux amant ?
Ce n'est pas lui, mais seulement
Mon petit page avec ma lampe.
Vents du soir, volez, dites-lui
Qu'il est ma pensée et mon rêve,
Toute ma joie et mon ennui.
Voici que l'aurore se lève,
Et moi, toute seule en ma tour,
J'attends encore son retour.
ROMANCE
de Théophile Gautier
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Lorsque le grand Colomb, penché sur l’eau profonde,
À travers l’Océan crut entrevoir un monde,
Les peuples souriaient et ne le croyaient pas.
Et pourtant, il partit pour ces lointains climats.
Il partit, calme et fort, ignorant quelle étoile
Dans les obscures nuits pourrait guider sa voile,
Sur quels gouffres sans fond allaient errer ses pas,
Quels écueils lui gardait la mer immense et nue,
Où chercher par les flots cette terre inconnue,
Et comment revenir s’il ne la trouvait pas.
Parfois il s’arrêtait, las de chercher la rive,
De voir toujours la mer et rien à l’horizon,
Et les vents et les flots jetaient à la dérive
À travers l’Océan sa voile et sa raison.
Comme Colomb, rêvant à de lointaines grèves,
Que d’autres sont partis, le cœur joyeux et fort,
Car un vent parfumé les poussait loin du port
Aux pays merveilleux où fleurissent les rêves.
L’avenir souriait dans un songe d’orgueil,
La gloire les guidait, étoile éblouissante,
Et comme une Sirène, avec sa voix puissante,
L’Espérance chantait, embusquée à l’écueil.
Mais la vague bientôt croule comme une voûte,
Et devant l’ouragan chacun fuit sans espoir,
Car le Doute a passé, grand nuage au flanc noir,
Sur l’astre étincelant qui leur montrait la route.
L’ESPÉRANCE ET LE DOUTE
de Guy de Maupassant
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